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La vieille fille
Le poème est en forme de faux Alexandrin.
Lorsque vous voyez un petit trait en dessous d'une lettre, il faut la prononcer.
Lorsque vous apercevez une apostrophe à la place d'une lettre, c'est qu'il ne faut pas la
prononcer.
La vieille fille
Des cheveux ondulés, enneigés et soyeux,
Encadrant un visage où perle la tristesse.
Une vie monotone n'ayant pour seul' richesse
Que les services rendus et les prières à Dieu.
Tous les matins, à l'aube, elle s'en va à l'église
Pour changer l'eau des vases et remettre des fleurs.
C'est un joli prénom que celui d’Anne-Lise!
Peut-être un peu vieillot ; mais si plein de douceur.
Par habitude, elle reste à la messe de sept heure,
Fait toutes ses prières, examine son cœur.
Consciemment elle remet en ordre ses idées,
Sachant bien les chemin et les routes empruntées.
Le dimanche, c'est elle qui joue de l'harmonium
Et monsieur le curé la tient en grande estime !
Pour être aimée de tous, elle fait le maximum,
Même si bien souvent, pour rien, elle s'escrime.
A la sortie du culte, lorsque sonne midi,
Quand les groupes se forment afin de converser,
Elle s'éclipse sans bruit pour ne pas déranger,
Comme pour s'excuser de n'avoir pas d'amis.
C'est une fois chez elle qu'elle découvre le vide
Qui emplit sa demeure aussi vide que son cœur.
Là, elle fait sans tricher, le bilan de ses rides
Et elle comptabilise, une à une, ses erreurs.
Il ne lui reste rien de sa belle jeunesse
Lorsqu'elle éconduisait les garçons de son âge
Qui se glissaient souvent derrière elle à la messe
Pour toucher ses cheveux ou frôler son corsage.
Ils se pâmaient d'amour tandis qu'elle s'en fichait.
Elle pensait, à l'époque, avoir assez de temps
Pour distinguer du nombre de ses soupirants
Celui qui saurait être l'homme qu'elle aimerait.
Mais elle n'a pas su et le temps est passé.
L'âge vient perturber les souvenirs enfuis...
Pour tromper son ennui elle picore des biscuits,
Puis elle se fait du thé au citron parfumé.
Elle se dit que les roses à trop avoir d'épines
Sont comme les buisson de fleurs d'Aubépines,
Décourageant les fous d'en cueillir la beauté,
Promesses de bonheur lorsque l'on est aimé.
Pourquoi les repousser en faisant la coquette ?
Pourquoi les faire souffrir en les rendant jaloux ?
Pourquoi d'un air hautain ébrouant ses froues-froues,
En s'en allait rieuse, se moquant de leur quette ?
Allez mes beaux messieurs ! Mon cœur n'est pas pour vous !
Celui que j'aimerai devra me mériter !
Je n'ai pas décidé. Ce sera vous ou vous,
Ou bien un chevalier venu pour me chercher...
Elle s'en amusait la jeune écervelée !
Mais à force de rire des garçons de son âge,
Le temps faisant son œuvre, a flétris sa beauté :
Les heures défilant sur elle firent des ravages.
Elle comprit son erreur, comprit sa vanité,
Réalisant soudain son espoir insensé
De rencontrer quelqu'un qui comblerait son âme
Doté de qualités qui feraient tout son charme.
— " Jeunes filles vaniteuses de votre beauté !
Prenez garde qu'un jour, pour vous, la cloche sonne,
Car le temps est très court et lasse bien des hommes
Si vous laissez passer la chance d'être aimée."
De vivre solitaire, elle n'a plus envie ;
Mais ne sait pas comment rompre sa solitude.
Elle sent fuir de son corps tout ce qui fait la vie,
S'enfonçant, peu à peu, dans sa décrépitude.
Le miroir qui reflète son mince corps de liane,
Lui dit que c'est finit, que trop vite il se fane
Et qu'elle ne sera plus celle qui fait rêver.
Et qu'il n'y aura plus de beaux jours pour aimer.
Aucun prince charmant sur son blanc destrier
Ne viendra l'arracher à sa morne existence.
Et il lui faut subir l'outrage des années
Sans être accompagnée d'une tendre présence.
Elle occupe son temps par une broderie,
Mais ses mains frémissantes refusent tout effort
Comme si, dans leurs veines, se distillait la mort.
Pourtant, elles étaient longues ses mains, douces et jolies !...
Cette maison où dorment des souvenirs heureux,
La rend mélancolique, embuant ses yeux bleus.
Sa raison, son tourment, l'empêchent de lutter
Et elle voudrait mourir, en finir, s'en aller.
La pluie, cette ennuyeuse, s'est mise à déferler :
C'est l'intruse qui tape aux vitres du salon,
Et l'âme d'Anne-Lise se met à l'unisson
De la nature qui pleur' sans jamais s'arrêter.
Anne-Lise n'a plus la force de faire face
Aux jours qui se succèdent et forment les années.
Jusqu'au bout, elle devra subir sa destiné.
Elle n’en a plus envie ; mais sa vie est tenace.
Quand donc viendra le jour où, enfin délivrée,
Elle pourra sans regret déposer son fardeau
De craintes, de douleurs, et de longs, longs sanglots :
Offrande douce amère d'une vie sans intérêt.
Au loin, teinte une cloche : c'est l'angélus qui sonne.
La vieille fille émerge de sa mélancolie.
La seule façon pour elle d'accepter sa vie,
C'est de s'abandonner à un dieu qui pardonne
Et qui seul peut combler son existence usée.
Si elle est vieille fille, si elle n'est pas mariée,
C'est que Dieu l'a voulu et ainsi décidé
Et puis, de toutes façons, à quoi bon regretter.
Les voix de son seigneur sont bien impénétrables :
Invisibles pour elle, comme pour ses semblables.
Il faut bien rétablir un peu l’ordre des choses !
Que peut-elle espérer d'une vie trop morose ?
A quoi bon regretter ! A quoi bon s'obstiner
Quand la stérilité de sa vie lui fait face ?
Anne-Lise comprend bien qu'il lui faut accepter
Ce que la providence daigne lui accorder.
Elle se dit que bientôt pour un très long voyage
Elle prendra son billet : pas besoin de bagages.
Elle ne regrette rien la douce écervelée ;
Mais d'être resté' sage sera son seul regret.
N. Ghis.
Poème écrit en Mars 1995
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